L’ÉTRANGER — LA CRÈME BRÛLÉE AU POIVRE DE MEURSAULT

Il y a des films qui nous happent avant même d’avoir vu la première image. L’Étranger, je l’ai d’abord rencontré sur une affiche, celle devant laquelle je passe chaque jour. Si Benjamin Voisin est déjà captivant sur cette image en noir et blanc, il l’est davantage sur le grand écran et devant la caméra de François Ozon. Dès les premières minutes, quelque chose s’installe, presque imperceptible : une tension, un silence, une beauté austère qui nous enveloppe sans prévenir. On entre dans le film comme on entre dans une lumière trop forte : les yeux mi-clos, le souffle un peu suspendu.
Le ton est donné : dépouillé, précis, troublant. Rien n’est appuyé, et pourtant tout résonne. Prêts à affronter L’Étranger ?

Après son dernier film, Mon Crime, plutôt comique, François Ozon revient à des territoires plus graves avec L’Étranger, plongeant pour la première fois dans l’univers de Camus. Les mots de l’écrivain prennent vie entre les main du cinéaste. Les personnages s’animent, la ville d’Alger se transforme, les mœurs de l’époque refont surface. Sur le grand écran, le noir et blanc, d’une beauté presque palpable, dépasse le simple choix esthétique : il devient un véritable langage visuel. Par ses contrastes, Ozon traduit ce qui traverse le récit à un niveau plus profond : la tension entre la morale collective et la singularité de Meursault, entre ce qui se montre et ce qui se tait.
Cette lumière ne se contente pas d’éclairer les visages, elle met en évidence les failles, les zones grises, les silences. Elle juge autant qu’elle protège, isole autant qu’elle sublime. Avec L’Étranger, Ozon ne cherche pas à moderniser Camus, mais à prolonger son écho, en imposant une rigueur visuelle qui devient, à sa manière, une révolte silencieuse.

L’Étranger raconte l’histoire de Meursault, un homme ordinaire confronté à l’absurdité du monde qui l’entoure. Entre indifférence apparente et événements dramatiques, il navigue dans une société régie par des codes moraux et des attentes sociales qu’il ne partage pas. Adaptation fidèle de l’œuvre de Camus, le film explore avec intensité la confrontation entre l’individu et les contraintes de la collectivité, tout en suivant le parcours singulier d’un personnage à la fois détaché et profondément humain.

En apparence banal et sans histoire, il y a chez Meursault, un ingrédient inconnu qui semble effrayer : la vérité – celle qui gratte, qui dérange. Pour ce personnage détaché et troublant qui bouscule la pensée convenable, on imaginera une crème brûlée tout à fait classique et lisse mais dont la surface caramélisée révèle une saveur surprenante et légèrement piquante, déstabilisante, qui rompt avec ce que l’on croyait “bien rangé”.

L’Étranger confirme le talent de François Ozon pour transformer la littérature en cinéma vivant, mêlant émotion et fidélité au texte. Adapté du roman de Camus, le film parvient à rendre tangible l’absurdité et l’unicité de Meursault, tout en préservant la force et la subtilité de l’œuvre originale.
Plus de soixante-dix ans après sa parution, le récit résonne toujours : il agit comme un miroir des contradictions humaines et des normes sociales, et trouve dans cette adaptation une incarnation à la fois puissante et inoubliable.

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