BUGONIA — LES ŒUFS AU PLAT MIEL PIMENT DE TEDDY GATZ

Yorgos Lànthimos fait partie de ses réalisateurs boulimiques qui, à la façon d’un Quentin Dupieux, ont un appétit de réalisation si grand qu’ils dévoilent un nouveau film par an (ou presque).
S’il s’amuse, et nous surprend, à chaque nouvel univers qu’il déplie et dissèque, c’est parce que, long-métrage après long-métrage, il choisit d’aller toujours un peu plus loin dans l’exploration de l’âme humaine… et dans la critique acide qui va souvent avec.
Avec Bugonia, il nous embarque cette fois dans une fable écologico-satirique où l’on assiste au combat très personnel d’un complotiste contre un “grand méchant Alien” bien décidé à tout aliéner. Une parabole grinçante, tordue, et forcément très Lánthimos.
Ça vous dit, un un huis clos en absurdie ?!

Chez le cinéaste grec, au-delà de ce besoin presque compulsif de tourner, il y a surtout l’envie de s’entourer de visages qu’il connaît intimement et qu’il aime remodeler film après film. Emma Stone est devenue, au fil des projets, l’une de ses constantes : après The FavouritePoor Things et Kinds of Kindness, Lánthimos lui offre ici un quatrième rôle, encore plus déstabilisant, parfaitement taillé pour évoluer dans un univers où l’absurde flirte avec la violence, où la paranoïa s’installe dans les moindres interstices, et où les personnages se heurtent à leurs propres dérives.
Mais une autre présence commence désormais à compter tout autant : Jesse Plemons. Depuis Kinds of Kindness, qui lui a valu un prix d’interprétation, il s’impose comme le contrepoint idéal de Stone. Là où elle apporte une malléabilité émotionnelle presque élastique, lui installe une gravité trouble, un calme qui se fissure lentement. Ensemble, ils forment un duo étrange et parfaitement complémentaire, capable de rendre crédibles les situations les plus saugrenues, les comportements qui dérapent, les croyances qui tournent en boucle jusqu’à l’absurde.

Dans Bugonia, leur duo se heurte cette fois à une histoire de face-à-face improbable entre un homme convaincu d’avoir mis la main sur une vérité capitale et une figure qu’il pense aussi menaçante que mystérieuse. Un terrain parfait pour Lánthimos, qui aime justement faire vaciller ses personnages : Stone et Plemons avancent alors dans un récit où la peur, la méfiance et les certitudes se retournent sans prévenir. Le cinéaste les guide dans cet espace trouble, les pousse à se transformer, à se contredire, à glisser – et tous deux semblent s’y abandonner avec une facilité presque inquiétante.

Dans Bugonia, Teddy est convaincu d’avoir identifié une menace extraterrestre et entraîne son cousin dans un plan radical : kidnapper la PDG d’une grande entreprise, qu’ils pensent être venue détruire la Terre. Enfermé avec leur otage, le récit bascule dans un face-à-face où chaque geste et chaque mot peuvent tout contredire. 
Avec Teddy, ce complotiste bien informé qui pourrait bien gagner en crédibilité à mesure que l’intrigue avance, on s’attaquera à la préparation d’un met qui lui va bien, d’apparence simple mais avec sa complexité et ses saveurs combinées : un oeuf au plat (aussi plat que la Terre) assaisonné de miel et de piment, pour le clin d’oeil aux abeilles et à l’explosivité du moment.

Bugonia déploie un cinéma à la fois cruel, parfois brutal, et traversé d’un humour sombre qui rappelle la manière si particulière dont Yorgos Lánthimos aime observer ses personnages se désagréger. Le film amuse, dérange, secoue – tout en restant parfaitement maîtrisé dans son huis clos étouffant. Mais malgré ses qualités, il apparaît moins ambitieux, moins ample que les œuvres majeures du cinéaste. Un Lánthimos toujours vif, toujours singulier, mais qui opère ici à une intensité plus basse que celle à laquelle il nous avait habitués.

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